11 janvier, 2009
Posté par Pascal-Eric Lalmy dans : Collectivités locales, Parlementaires , trackback image Paul Giacobbi Nice-Matin
Paul Giacobbi, député PRG, a été auditionné par le comité présidé par Edouard Balladur le 8 janvier 2009.
Voici sa contribution.
L'expérience corse est sans doute importante pour votre commission car dans aucune autre partie du territoire national on n'a autant réfléchi, discuté, expérimenté de nouveaux systèmes institutionnels. Je voudrais cependant faire quelques remarques générales avant de revenir brièvement sur cette nouvelle « enquête corse » :
I. Depuis près de trente ans, les collectivités locales en France, loin d'être des institutions immobiles, vivent en permanence dans une totale instabilité institutionnelle, financière, politique.
Depuis déjà pas mal de temps, au moment où nous sommes élus pour un mandat local, nous sommes dans l'incapacité de dire s'il ne sera pas allongé ou raccourci en fonction d'une nouvelle réforme et d'ailleurs à ce jour, personne ne peut dire si les élections régionales auront lieu en 2010 ou en 2011.
Sur le plan financier, il devient très difficile de faire une prévision à plus d'un an. Nous subissons en effet des transferts de compétences incroyablement mal compensés, comme ce fut le cas par exemple pour l'allocation personnalisée d'autonomie, des réformes fiscales brusquement décidées, voire des évolutions savamment dissimulées au détour de la loi de finances - comme celle qui était prévue pour la Corse et la taxe professionnelle dans la loi de finances pour 2009 et qui nous aurait privés d'une grande partie de notre capacité d'investissement - du calcul des dotations d'Etat qui aboutit, notamment pour les petits départements, à une perte considérable de recettes. Quant au système institutionnel, ses évolutions sont d'autant plus imprévisibles qu'elles sont préparées dans des conditions surprenantes ou, par exemple, sans attendre les travaux de cette commission, un porte-parole politique se permet déjà d'indiquer ce qu'elle sera.
II. Il n'y a plus aucune raison de renouveler les conseils généraux par moitié alors que toutes les assemblées locales sont entièrement renouvelées tous les six ans.
III. S'agissant de la question de la représentation démographique équitable entre les cantons, je rappelle que c'est un principe bien français qui est d'ailleurs extraordinairement mal appliqué en France. Le Wyoming compte moins de 500 000 habitants et la Californie près de quarante millions tandis que ces deux Etats américains élisent chacun deux sénateurs, personne n'y trouvant à redire s'agissant de la représentation de territoires autant que de citoyens. Même après redécoupage législatif, il restera des écarts démographiques entre circonscription de députés français tout à fait comparables entre celles qui subsistent entre cantons d'un même département.
La représentation des territoires est partout dans le monde occidental un élément fondamental de la démocratie.
IV. On peut tout à fait envisager une réforme de l'élection des conseillers généraux dans les villes importantes.
Je remarque cependant qu'à l'évidence les députés des grandes villes ne sont pas mieux identifiés à une circonscription par les citoyens que les conseillers généraux urbains le sont à leur canton.
V. S'agissant des financements croisés, ceux qui en parlent pour les critiquer ignorent manifestement tout des financements des investissements, publics ou privés, dans le monde réel :
A. Le financement de l'investissement privé est généralement infiniment plus complexe, plus « croisé » que le financement d'un investissement public de montant équivalent. Il est très rare que le financement d'un investissement public sollicite plus de trois ou quatre sources. Mon expérience du montage d'opérations dans l'industrie me fait souvenir d'opérations où intervenait une syndication de trois banques, pour un montage avec quatre sociétés en noms collectifs superposées, et la participation en amont de cinq partenaires en fonds propres !
B. Ce qui rend complexe le financement de l'investissement des collectivités locales, ce sont deux ou trois choses qui viennent de l'Etat et de ses démembrements :
L'insuffisance de crédits de paiment qui retarde de plusieurs exercices le dénouement des opérations engagées
La complexité et l'instabilité des règles d'attribution, par exemple de l'agence de l'eau
La lourdeur phénoménale des procédures ou plus exactement d'un enchevêtrement de procédures croisées.
La suppression des financements croisés – en particulier département-région – aboutira à réduire l'investissement public, certainement pas à l'augmenter.
La Corse
Le troisième statut de la Corse en vingt ans a commencé à être mis en oeuvre en 2004. Si une nouvelle réforme était mise en oeuvre en 2010, nous aurions donc un quatrième statut en un quart de siècle, c'est-à-dire que nous serions désormais sur le rythme d'un changement institutionnel majeur par mandature !
Nous avons donc besoin de stabilité et non de nouveaux changements, même s'il est probablement utile d'insister sur quelques éléments essentiels d'évolution pratique.
En premier lieu, il serait utile en matière d'investissements publics que les dispositions législatives relatives à la Corse soient suivies d'effets financiers et ne fassent pas uniquement l'objet d'effet d'optique. S'agissant du Programme Exceptionnel d'Investissements et sans entrer dans une querelle de chiffres - mais je tiens à la disposition de la commission un dossier étayé, documenté et irréfutable - il est évident que les promesses ou plutôt les dispositions législatives de la loi du 22 janvier 2002 relatives au Programme exceptionnel d'investissements pour la Corse n'ont pas été respectées.
C'est une des raisons, pas la seule, mais une raison importante des difficultés financières considérables que connaît aujourd'hui la Collectivité Teritoriale de Corse. C'est aussi une des raisons pour lesquelles on ne peut pas dire que nous parvenions à rattrapper notre retard en matière d'équipements publics.
Je m'empresse de dire que je comprendrai parfaitement qu'en période de crise ou de restrictions budgétaires on revoit à la baisse les ambitions du programme.
En second lieu, il est absolument indispensable de donner corps à la conférence de coordination des collectivités territoriales de Corse prévue par l'article L. 4421-3 du code général des collectivités territoriales, de manière à bien coordonner l'exercice des compétences, tout particulièrement dans les domaines de l'investissement public.
Cette institution ne s'est réunie qu'à deux reprises depuis 2004, les 30 juillet 2004 et 12 décembre 2005.
Je remarque au passage que les deux départements ont inauguré une coopération qui va je pense se développer considérablement et qui débouche déjà, par exemple dans les SDIS, par des investissements menés en commun.
Je note d'ailleurs que les remarques des deux présidents de conseil général de la Corse ne sont pas très différentes sur le sujet qui nous occupe même si leurs positions étaient divergentes à l'époque du référendum de 2003.
Sur cette affaire, je considère que j'avais eu tort parce que le suffrage universel a toujours raison. J'ai mis cependant très longtemps à comprendre pourquoi.
Je crois qu'en réalité cette simplification administrative de la Corse, destinée à rendre notre administration locale plus simple, plus claire et plus efficiente, allait rendre les choses tout aussi compliquées, tout aussi coûteuses et très certainement moins lisibles aux yeux des citoyens.
Il s'agissait en effet de constituer une seule collectivité territoriale mais de la subdiviser en deux entités administratives dépourvues de la personnalité morale mais dotées chacune d'un conseil politique composé de membres de l'Assemblée de Corse.
Je crois sincèrement que ce système était très compliqué. Il aurait alourdi l'administration plus qu'il ne l'aurait simplifiée et donné bien du mal au citoyen pour identifier politiquement qui était responsable de quoi.
Par ailleurs, la réforme supprimait purement et simplement les cantons, et donc la représentation de chaque territoire. Or la Corse est un archipel et non pas seulement une île. Chaque partie de territoire a sa personnalité, son identité et son histoire, son économie aussi, et cette confusion aurait été un considérable appauvrissement et finalement une perte d'efficacité et probablement aussi de solidarité, en particulier pour la zone rurale.
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Si cette commission estime utile de réformer en profondeur le système de nos collectivités locales, je voudrais insister sur :
l'impératif de maintenir une représentation territoriale majoritaire et uninominale et non pas une représentation proportionnelle, non territoriale et par liste.
le retour à l'idée de « blocs de compétences », mais en incluant aussi l'Etat, sans pour autant revenir sur la clause de compétence générale.
la recherche de l'efficacité pour l'investissement en obligeant l'Etat et ses démembrements à une stabilité de leurs règles et critères et à honorer leurs engagements financiers.
le refus des usines à gaz qui, sous prétexte de simplifier, augmentent la complexité par l'institution de collectivités à plusieurs étages de décision, multipliant les coûts, diluant les responsabilités et accroissant l'opacité.
Si les Français sont aussi attachés au département, c'est que ceux-ci ont été remarquablement efficaces et ont réussi par exemple, bien mieux que l'Etat, a mener des politiques sociales en profondeur et sur le terrain. Je relève au passage que le transfert de compétence du RMI au conseil général en Haute-Corse s'est traduit par une baisse considérable du nombre des allocataires et même une baisse en valeur absolue des dépenses, tout simplement parce que le conseil général a mis en place des politiques de contrôle efficientes, là où l'Etat se contentait d'une gestion purement administrative et formelle. Je crois savoir qu'en Corse-du-Sud les choses sont aussi étroitement contrôlées et maîtrisées s'agissant du RMI.
J'ajoute que, sur le plan politique, l'ancrage des départements est considérable au Parlement et que je crois sincèrement que le gouvernement commettrait une grave erreur, à son détriment, en ne s'obligeant pas à rechercher, avant de mener des réformes sur les départements, le consensus le plus large possible.